Le Corps Musical Nivellois

Article de Louis Genty paru dans la revue nivelloise Rif Tout Dju de septembre 1994

 

Pour rappel, Nivelles comptait plusieurs sociétés musicales avant la guerre 40-45. La plupart disparurent le 10 mai 1940. Leurs locaux et leurs instruments brûlèrent dans le bombardement de la ville.

 

Pendant les journées de la Libération, quatre Nivellois, très motivés par la musique de plein air, se rencontrent, discutent et se rendent à l'hôtel de ville : Joseph Leherte, Louis Dussart, Adolphe Herman et Marcel Duvivier. Ils soumettent au bourgmestre Léon Jeuniaux l'idée de réunir, toutes sociétés confondues, les musiciens encore en possession de leurs instruments.

 

Emile François, directeur-fondateur du Corps Musical Nivellois, raconte la genèse de sa société :

 

A la requête du bourgmestre, le crieur Alexandre Goche (c'était un personnage pittoresque qui répondait au sobriquet wallon de "Zante Camayou". Il est décédé en 1961 et n'a jamais été remplacé dans sa fonction de crieur publique) a sonné la cloche à tous les carrefours pendant la matinée du lundi 4 septembre 1940. Il a demandé aux musiciens de se rassembler à l'Académie de Musique au cours de l'après-midi. Je me suis heurté d'emblée à une difficulté imprévue. Les instruments ne jouaient pas au même diapason. Il était quasi impossible de les raccorder. De plus, les pupitres manquaient d'équilibre puisqu'on avait réuni pêle-mêle des instruments d'harmonie et de fanfare. Enfin, personne ne disposait de partitions. Que faire ? On s'est contenté de l'unique morceau connu de mémoire par tous : le pas redoublé "Aclots Toudi" que nos trois phalanges jouaient depuis 1926. Et la première sortie a eu lieu au rythme de ce seul air.

 

Or, ce 4 septembre, Nivelles se situe toujours dans le no man's land. Des groupes d'Allemands tiennent encore le Bois d'Arpes et la gare de Baulers entre autres. un passage par Nivelles demeure possible. Ecoutons Emile François :

 

Nous nous sommes arrêtés dans un café de la place Emile de Lalieux pour prendre une consommation. A ce moment, la nouvelle a circulé qu'une colonne allemande rappliquait. Les musiciens ont fait comme les badauds en rue : ils ont pris la fuite. La première sortie en musique s'est achevée dans la débandade. On s'est rendu compte un peu plus tard que nous avons été victimes d'un bobard. On n'a plus vu un seul soldat allemand. Nous avons alors pu, ultérieurement, trouver des partitions. Les trois premières marches mises au pupitre avaient des résonances patriotiques. Elles s'intitulaient "Loncin", "Les Diables noirs" et "Ici Londres". Cette dernière était une sorte de pot-pourri au départ des motifs alliés diffusés par la radio londonienne.

 

Emile François nous apprend encore que l'un de ses premiers objectifs a été de mettre à l'étude des marches processionnelles de manière à assurer le départ et la rentrée en musique du Tour de Sainte-Gertrude le dimanche 1er octobre. Cela ne s'était plus produit depuis 1939 ! Voici la convocation à la première répétition :

 

Cher Monsieur,

 

Nivelles renaît... Nivelles revit... Les colonnes de la victoire ont passé au milieu des ruines qu'avaient amassées quatre ans avant les hordes de la haine. Du haut de sa tour, Jean de Nivelles les a contemplées et, dans sa vieille moustache, doit avoir coulé plus d'une larme de joie.

 

Dans trois semaines, sainte Gertrude, elle aussi, la vieille patronne de nos maisons, de nos ruelles, sortira et fera le tour de son domaine libéré. Tout Nivelles assistera à ce Tour de la reconnaissance et de l'espoir.

 

Nous avons pensé en une cordiale collaboration qu'il nous appartenait à nous, les trois sociétés si durement frappées, d'unir nos efforts et nous demandons à nos musiciens et à tout Nivellois qui posséderait un instrument, d'honorer, en 1944, le Tour de sainte Gertrude qui fut quatre fois trop silencieux. Nous demandons à tous nos membres à qui la chose est encore possible de nous prêter leur concours.

 

Léon Jeuniaux, bourgmestre – Michel Huyberechts, doyen

Hector Declercq, président du Cercle Musical

Joseph Mary, préésident de L'Harmonie du Peuple

Edmond Gougnard, Président des Amis de la Concorde

 

Le comité : Dr Demal, L. Chantrenne, E. Delvaille, Jos. Leherte

 

Emile François poursuit :

 

La photocopie n'existait pas à l'époque. J'ai dû exécuter seul la copie manuelle des partitions. Les deux jours de congé que m'a accordés le bourgmestre n'ont pas suffi. J'ai fait des copies jusqu'à deux heures du matin, presque en pure perte, car l'unique fois qu'elles ont servi – le jour du Tour – elles ont été délavées par la pluie.

 

Emile François nous fait alors remarquer que, ce 1er octobre 1944, la société de musique était toujours sans nom. Le doyen Huyberechts, dans l'allocution prononcée au départ du Tour, a eu un mot de compliment qui l'a amené à improviser : " Je remercie les musiciens du... du... du Corps Musical Nivellois ". C'était bien dit ! Tellement bien qu'on n'y a jamais rien changé !

 

Emile François a assuré la direction du Corps Musical Nivellois pendant 32 ans.

 

 

1er octobre 1944 - Première sortie du Corps Musical Nivellois