Le Réveil Postal

Articles de Joseph Coppens et Georges Charles parus dans la revue nivelloise Rif Tout Dju d'octobre 1965 et septembre 1980

 

Facteur des postes, Victor Dozot fonda, en juin 1921, le Cercle amical Le Réveil Postal dont il fut l'un des principaux animateurs. Il a eu le grand mérite, peu de temps après la fin de la Grande Guerre de 1914-1918, de remettre en train le théâtre patoisant à Nivelles. le Réveil Postal remplit les salles tandis que les autres sociétés locales étaient stimulées par ce renouveau.

 

Chanteur, acteur, régisseur, Victor Dozot, qui jouissait d'une belle popularité, était aussi auteur wallon au langage d'une truculence peu ordinaire. On lui doit plusieurs chansons : Lès Tchambourèyes, On rit d'ça, Djè sû tchitcho, A Nivelles, Dins l'trau d'Nivelles, A la tutu, etc.

 

Il est aussi l'auteur de plusieurs pièces dramatiques :

 

– Ké dallatche ! ké potatche ! ké toubac ! revue créée le 30 novembre 1924, jouée trois fois au Waux-Hall devant des salles archicombles (selon un papier retrouvé dans les archives de l'auteur)

Zèzète, pièce réaliste en trois actes, créée le 28 novembre 1926 ;

Eyu-ce qu'on s'inva !, pièce en 1 acte, primée, créée le 25 mars 1928 ;

– Cœur d'Efant, comédie dramatique en 1 acte, primée, créée le 25 novembre 1928 ;

– No Viyè Mézo, comédie dramatique en 1 acte, primée, créée le 22 juin 1930.

 

Les recettes des pièces, comédies et de la revue de Victor Dozot furent destinées à l'érection d'un mémorial en mémoire du docteur Tamine – tué en service en 1926 –, surnommé El mèdcin des poûfes. Une stèle a été érigée sur la pelouse de l'hôpital, à gauche, tout de suite après l'entrée.

 

Le Réveil postal semble avoir cessé ses activités en 1933.

 

Victor Dozot

par Georges Charles

 

Victor – ainsi l'appelaient couramment les Aclots – était né à Nivelles le 24 septembre 1891. Il y est décédé trop tôt le 6 août 1942.

 

Facteur des postes de son métier, aimé de ses collègues, estimé de ses chefs, Victor était connu de tout Nivelles. Il était un comédien de grand talent et un excellent poète wallon qui cultivait l'humour. Son souci permanent ? Faire rire ! Cependant, certains de ses poèmes laissent percer, derrière ce joyeux bonhomme, une très grande sensibilité. Il est très regrettable qu'il n'ait pas vécu la 2e moitié du 20e siècle pour voir ses œuvres vulgarisées et pouvoir produire toutes celles restées inachevées. N'oublions pas que, pendant la période qui a précédé 1940, la presse était loin de se préoccuper des auteurs et des poètes wallons (chez nous, du moins).

 

Ce qui frappe d'emblée dans les archives de Victor Dozot, c'est le volume formidable de ses brouillons de poèmes et pièces qu'il préparait et laissait mûrir. Parmi les chansons qu'il a écrites, citons :

 

On fout tout dju à la tutu (compositeur : Bourdeauduc)

L'ertour d'in èfant d'Nivelles (duo)

Les Tchambourèyes (romance)

Djè sû tchitchot. Expression très rare aujourd'hui. D'après le dictionnaire de Coppens, cela signifie "être atteint de blépharite. Selon de dictionnaire Larousse, est atteint de blépharite la personne dont les cils sont presque soudés l'un à l'autre par des humeurs visqueuses (par manque d'hygiène ?).

Les bias îs d'em moman

Mi, dj'm'en fout d'tout ça

On rit d'ça.

 

Le compositeur de toutes ces dernières chansons est Ursmar Scohy, compositeur nivellois.

 

Parmi tous ses brouillons, on trouve un grand nombre de chansons en préparation. D'innombrables feuillets témoignent de la fertilité de ce cerveau aclot trop peu connu pour son travail de création, hélas ! alors que, vivant dans son cher Nivelles, il était une réelle personnalité de laquelle rayonnait la bonne humeur. Il n'arrêtait pas d'écrire. Plus on fouille dans ses archives, plus on regrette que de petits chefs-d'œuvre aient été perdus, égarés par les gens qui s'y sont intéressés, grâce à l'obligeance de sa brave épouse, trop heureuse que l'on remue ces reliques.

 

L'âme de son travail subsiste. Victor Dozot était un chansonnier et un poète prolixe. Il ne cherchait pas dans ses vers la grandiloquence. Ses qualités sont le naturel et la simplicité. A la mort de Zélie, cette cabaretière installée sur la Grand-Place, bien connue des anciens Nivellois pour sa délicieuse tarte al djote, il fut très affecté et lui offrit, à titre posthume, un poème de dix strophes : En'fie dè D'Jean d'Nivelles. Il voulait rappeler à ceux qui l'avaient connue combien cette bonne vieille dame était charitable et désintéressée. Dans les années 1930, l'imprimeur Adolphe Herman, un pur Aclot, avait dit : Zélie, elle tèroût s'comerce cint ans, elle saroût toudi poûfe !

 

Es'dgin-là n' jamais cachî l'dernière fènasse

Ni scrèper pou muchî des liards à contrèmasse ;

Quand elle viyoût s'cabaret rimpli à craquî,

Elle nè carculoût ni.n si chaqu'avoût payî.

Come elle aimoût surtout bî.n les siens dè d'par ci,

A combî d'manoqueu n'a-t-elle ni.n fé crédit ?

Du pangn'èyè dè l'soup qu'elle leu donnoût pou rî.

Bi.n seûr qui d'a branmint qui nè l'roublieront ni.n.

L'maiso no servira co des târts al djotte

Seul'mint c'què nos pierdrons, c'est no moman aclott'

L'insègne n'a ni.n candgî... les parints sont co là

Mais Zélie ! C'est in boquet d'Nivelles qui s'inva.

 

Victor Dozot s'est ainsi consolé, plein d'admiration pour cette bonne maman par un poème écrit tout simplement avec son cœur et resté inconnu. A l'époque, ces vers ne comptait que pour lui et n'ont jamais été diffusés.

 

Victor Dozot était un excellent comédien. Déjà, au patronage Saint-Louis, il jouait un rôle à l'âge de 12 ans. Rappelons en passant que bon nombre de comédiens nivellois du début du 20e siècle provenaient de la bonne école d'art dramatique qu'était ce patronage. Pendant une bonne période de la guerre 1914-1918, Nivelles possédait un théâtre permanent (variétés) situé au 37 rue de Namur (à proximité de la rue du Pont Gotissart). Le programme changeait chaque semaine. Se produisaient les artistes C. Dochain, directeur artistique carolorégien, Harry Dupray, professeur habitant Nivelles, Gusse Vandercreusen (Nivellois) et Victor Dozot, ce dernier tenant déjà des rôles de premier plan.On devine l'activité de Victor Dozot pendant cette période : spectacles du samedi au lundi et répétitions du mardi au vendredi. Il avait un peu plus de 24 ans en 1915 et cela fait supposer qu'il était réellement un acteur dans l'âme dès cette époque et même avant.On ne s'étonnera pas si dès la fermeture des Variétés après la guerre, il fonda, le jeudi 9 juin 1921, le Cercle dramatique Le Réveil Postal, présidé à l'époque par un bon vieux facteur aclot, Victor Marchand. En 1931, il fêtait, avec son président, le dixième anniversaire du Cercle.

 

A cette occasion, il s'adressait à son président en lui rappelant, avec humour, les tribulations que le Cercle avait connues au cours des dix dernières années, appuyant sur l'enthousiasme fougueux de ceux qui furent les premiers à déserter !

 

Trop tôt disparu, Victor Dozot eut cependant une vie débordante d'activités dialectales littéraires et théâtrales. Il maniait la plume avec aisance et s'il avait pu mettre en valeur son œuvre inachevée, il aurait enrichi le patrimoine dialectal nivellois. Ajoutons que Victor Dozot a toujours été désintéressé. Toute son œuvre fut inspirée par l'amour de la langue wallonne.

 

Une certaine partie de ses œuvres a été prêtée par son épouse et jamais remise. Victor Dozot avait été quelque peu oublié. Espérons que ces quelques lignes le rappelleront au bon souvenir de l'art dialectal wallon et, en particulier, celui de Nivelles.

 

16 avril 1916-Photo prise à l'arrière du café "Jules Bauduin" situé au 194 rue de Namur.

 

de g à d debout

Victor Dozot-Gustave François-Gustave Laurent-Marcel Albertella (arrière-plan)-Achille Barbier (papier en main)-Alfred Roland-Achille Tamine

 

de g à d assis

Paul Lerminiau-Romain saintes

Vers 1920 - La poste de Nivelles - Victor Dozot se trouve dans la 3e rangée au-dessus. C'est le 4e en partant de la gauche.